La section ABAKO de la commune de Kalamu annonce une réunion dans les locaux du YMCA pour le dimanche 4 Janvier 1959 à 14 heures. Cette réunion fait suite au meeting tenu une semaine avant, par les délégués á la conférence Panafricaine d’Accra pour laquelle KASA-VUBU n’avait pu obtenir un visa. Il faudrait noter le nouveau concept apparu lors de ces assises á savoir le Panafricanisme. L’on se demande alors qu’elle sera l’attitude de KASA-VUBU?
Il y a gros à parier que le président de l’ABAKO choisira cette occasion pour exprimer publiquement son point de vue, à une semaine de la déclaration gouvernementale annoncée par le ministre VAN HEMELRYCK pour le 13 Janvier. L’administration coloniale redoute les conséquences d’une surenchère politique aussi prévisible. Aussi, l’autorité interdit-elle la tenue de cette réunion.A la date susdite, KASA-VUBU, peu avant quinze heures, se rend à la place YMCA, y prononce une petite allocution pour calmer la population qui s’y était agglutinée en dépit de l’interdiction. La foule surrexcitée comprend à peine ce qu’il dit:
" La réunion sectionnaire d’aujourd’hui est reportée au 18 Janvier 1959. Vous avez tous le grand désir d’attendre l’essor de votre destinée. Vous avez demandé l’indépendance. Le gouvernement belge nous fera sa déclaration le 13 courant. Ayez confiance. Les représentants étudieront la réponse du gouvernement belge. Partez, et ayez foi en votre demande ". A peine le président de l’ABAKO a-t-il regagné sa demeure que la bagarre éclate. Echauffourées entre policiers et manifestants, le sang coule. Les incidents tournent à l’émeute générale. Après l’intervention de la Force Publique, le bilan se solde pour cette seule journée par des dizaines de morts et de blessés.
Pour les Européens, il n’y a aucun doute: le responsable de l’émeute ne peut-être que KASA-VUBU, l’homme qui hait le blanc, le xénophobe, celui qui excite le peuple contre l’autorité, l’ambitieux, le prétentieux. Les autorités judiciaires cèdent, elles aussi, au courant de l’opinion générale. Quant à l’administration, elle trouve enfin l’occasion de prendre sa revanche.
Dès le 5 Janvier, sous prétexte de " l’abstention de KASA-VUBU devant les désordres survenus dans sa commune" , il est revoqué de ses fonctions de bourgmestre et le Parquet lance à sa charge, un mandat d’amener. Mais KASA-VUBU n’est pas chez lui et il est introuvable. En attendant, on arrête les principaux leaders de l’ABAKO, tandis que d’autres se réfugient à Brazzaville pour y constituer un "comité de défense". Après quelques jours, KASA-VUBU vient se présenter lui-même aux autorités. Il est arrêté à son tour, et emprisonné. Il a été démontré, depuis que ces arrestations ont constitué une erreur, non seulement sur le plan politique, mais également sur le plan judiciaire.Le ministre VAN HEMELRYCK s’en rend compte, et devant la mauvaise volonté de l’administration coloniale, vient lui-même à Léopoldville libérer KASA-VUBU.
En Belgique, les événements du 4 Janvier 1959 provoquent une sorte d’effondrement. D’un coup, c’est tout le "Congo dream", le grand rêve belge d’une colonie modèle et harmonieuse qui s’écroule brusquement. L’opinion publique s’inquiète. Puisque la colonisation parfaite n’est plus possible, une décolonisation parfaite n’est-elle pas à envisager? En tout cas, plus d’émeutes, plus de répression, plus de sang, estime en gros le peuple belge.Finalement, le parlement belge décide l’envoi au Congo d’une commission parlementaire d’enquête qui débarque à Léopoldville le 14 Janvier.
Le 13 se situe un événement d’une autre importance: la déclaration gouvernementale. Le ministre du Congo se décide à adopter toutes les conclusions du groupe de travail sauf sur un point, d’une portée psychologique considérable: la promesse explicite de la Belgique d’acheminer le Congo vers l’Indépendance. Le rapport ne contient pas le mot indépendant, tout en organisant la chose. Devant l’insistance des intellectuels congolais qui tiennent à voir figurer dans ce rapport le mot ” indépendance”, la déclaration gouvernementale est finalement précédée d’un message royal dont les passages significatifs peuvent se présenter comme suit:
"Notre résolution est aujourd’hui de conduire, sans atermoiements funestes, mais aussi sans précipitation inconsidérée les populations congolaises à l’indépendance, dans la prospérité et la paix".
"Dans un monde civilisé, l’indépendance est un statut qui réunit et garantit la liberté, l’ordre, le progrès. Elle ne se conçoit que moyennant des institutions solides et bien équilibrées; des cadres administratifs expérimentés; une organisation sociale, économique, financière bien assise aux mains de techniciens éprouvés; une formation intellectuelle et morale de la population sans laquelle un régime démocratique n’est que dérision, duperie et tyrannie".
Du 4 Janvier Á L’indépendance
" Ce beau discours était à peine prononcé que le gouvernement belge présentait sa déclaration qui consistait, à l’évidence, le premier des atermoiements funestes et la première précipitation inconsidérée. Le texte gouvernemental se trouvait dès l’abord dépassé et caduc et avait l’air d’un texte bâclé. La Belgique entendait instaurer au Congo un système semi-représentatif à trois degrés, tout en se réservant des possibilités de nomination à tous les échelons puisqu’à chaque fois, seule la majorité des membres serait élue. C’était là un système aussi boiteux et aussi peu apte à satisfaire les revendications des Congolais que le statut des villes. Etait-ce vraiment pour obtenir cela que le 4 Janvier 1959, le sang de leurs frères avait été répandu?
Après l’avoir libéré, le ministre VAN HEMELRYCK emmène KASA- VUBU avec lui en Belgique. Le leader de l’ABAKO y séjournera durant deux mois qu’il mettra à profit pour visiter la Belgique. A la fin de son séjour, il publie une déclaration où il prend position en faveur d’une "sorte de fédération des entités provinciales autonomes". Pour KASA-VUBU, la nation congolaise sera formée librement et de commun accord avec toutes les peuplades du Congo. Il s’agit de former ensemble une conscience nationale… imposée, l’unité du Congo demeurera vulnérable. La déclaration précise que les " Bakongo se réjouissent de ce que leurs compatriotes sont, à quelques nuances près, du même avis qu’eux dans l’expression de la volonté nationale.
De retour à Léopoldville, KASA-VUBU constate qu’une profonde divergence existe entre le ministre et l’administration coloniale. Le leader de l’ABAKO tente un dernier effort pour renouer le dialogue avec l’administration. Hélas, sa tentative échoue, et il se voit contraint à une attitude d’opposition systématique. C’est ainsi qu’il décide notamment le boycott des élections communales prévues pour le mois de Décembre 1959.
Les négociations que KASA-VUBU mène à ce sujet, à Léopoldville et à Bruxelles, avec le nouveau ministre du Congo, monsieur DE SCHRYVER n’aboutissent à aucun résultat.Par ailleurs, KASA-VUBU s’efforce de grouper autour de lui et de l’ABAKO les partis politiques qui partagent ses idées. C’est ainsi qu’au mois de Décembre 1959, il réunit à Kisantu un important congrès des partis ralliés à la thèse d’une fédération congolaise.Ainsi, il devenait le représentant non seulement de son propre parti, mais d’une véritable coalition nationale.
Quelques semaines plus tard, DE SCHRYVER réunit à Bruxelles la Table Ronde politique.Les principaux groupes en présence étaient: le Cartel, d’une part, le Parti Nationale du Progrès ( PNP), d’autre part et le groupe des chefs coutumiers. LE PNP avait été créé à Coquilhatville au mois de novembre et regroupait quelques partis "non extremistes". Parmi les personnalités du mouvement figuraient Paul BOLYA, Albert DELVAUX, Jean-Pierre DERICOYARD. Par ailleurs, la délégation des chefs coutumiers était fort importante car le gouvernement belge avait tenu à les associer en grand nombre aux travaux de la Table Ronde en tant que représentants de la "masse fidèle". D’autres partis étaient, à ce moment, plus importants par leur programme ou par les appuis dont ils disposaient dans certains milieux belges que par leur importance numérique: le (MNC) LUMUMBISTE et la CONAKAT.
Dès le départ, KASA-VUBU défendra des positions très dures. "(…)Nous sommes ici pour trancher toute la palabre. Il faut aller droit au problème. Les Congolais demandent la formation d’un gouvernement congolais".
KASA-VUBU demande également l’organisation immédiate des élections législatives. Il dénie à la conférence le droit de discuter des structures du Congo.Il réclamait que la Table Ronde s’érige en constituante: ainsi, il traduit son souci de voir le Congo doté d’une constitution qui soit l’oeuvre des Congolais eux-mêmes.La conférence ayant rejeté cette proposition, KASA-VUBU, pendant plusieurs journées refusera d’y siéger. La conférence de la Table Ronde se termine par l’adoption de seize résolutions qui doivent servir à l’élaboration, par la Belgique, d’une "loi fondamentale" provisoire.
Une large décentralisation est assurée par la résolution n°1 qui annonce déjà une "loi fondamentale" de type fédéral, bien que les mots "Etat fédérés" ne figurent pas dans le texte.Une autre résolution importante est celle relative au chef de l’Etat qui devra être désigné avant le 30 Juin, par les Chambres congolaises.Enfin, l’idée d’un gouvernement provisoire est réalisée en partie par la création de Collèges Exécutifs, à l’échelon du Gouvernement Général et des Provinces qui doivent permettre aux congolais de s’initier aux réalités du pouvoir.Après la Table Ronde fut installé à Léopoldville un Collège exécutif général, partageant avec le Gouverneur le pouvoir de décision. KASA-VUBU est chargé plus particulièrement des questions économiques et financières.Aux élections législatives de Mai 1960, l’ABAKO remporte tous les sièges dans le Bas-Congo et trois sièges sur quatre à Léopoldville.
Deux regroupements politiques se forment, l’un autour du Mouvement National Congolais de Patrice LUMUMBA, l’autre sous l’appellation Cartel d’Union National, autour de KASA-VUBU. LUMUMBA, désigné comme formateur, obtient la confiance des Chambres le 23 Juin par 74 voix sur 131.Le lendemain, Joseph KASA-VUBU est élu chef de l’Etat, par les Chambres réunies. Il obtient 159 voix sur 213.
Le 21, devant les Chambres réunies, le président KASA-VUBU prête le serment suivant: "je jure d’observer les lois de la nation congolaise, de maintenir l’indépendance nationale et l’intégrité du territoire".
Les lendemains de l’indépendance
Trente Juin 1960. Le jour même de la proclamation de l’Indépendance, l’équivoque de la politique belge de décolonisation et la volonté du gouvernement congolais de ne souffrir en rien que le paternalisme belge survive encore de quelque manière font éclater à la face du monde un désaccord profond entre les deux pays.
Le 30 Juin a lieu, au palais de la Nation, la proclamation solennelle de l’Indépendance. Le roi des belges déclare que son pays est heureux d’avoir donné au Congo, malgré les plus grandes difficultés, les éléments indispensables à l’armature d’un pays en marche vers la voie du développement.Conclusion de ce panégyrique : "c’est à vous qu’il appartient maintenant de démontrer que nous avons raison de vous faire confiance (…). Ne compromettez pas l’avenir par des réformes hâtives (…). N’ayez crainte de vous tourner vers nous".
De plus, ce discours était partial, non seulement dans le sens que mettra en relief le Premier ministre LUMUMBA, mais encore si l’on songe au bilan de ce que la Belgique avait omis de faire au Congo. Le gouvernement belge était bien placé pour savoir que, à part l’Indépendance, aucune des promesses que le roi avait faites, au nom de la Belgique, dans son message du 13 Janvier 1959, n’avait été réalisée au Congo à la date du 30 Juin 1960.
Dans son mot de circonstance, le président KASA-VUBU appelle une nouvelle fois les Congolais à s’unir dans une communauté d’efforts, de peines et de travail.Au mois de juillet, le Congo traverse une crise grave, qui s’accompagne d’une menace d’intervention étrangère.En compagnie de son premier ministre, le président s’efforce partout d’apaiser les esprits, tout en apportant son appui aux mesures prises par le gouvernement en vue de sauvegarder l’indépendance nationale.Le 5 Septembre 1960, devant l’aggravation de la situation, la menace d’une guerre civile et le massacre des populations innocentes, le président KASA-VUBU décide de faire usage de son droit constitutionnel de révoquer les membres du gouvernement. Le fait que le chef du gouvernement, LUMUMBA, se rebelle alors contre cette décision, engendre un conflit particulièrement pénible. Durant la période sombre qui suivit, le président KASA-VUBU s’efforça avec une inlassable patience de rétablir au Congo l’union des esprits et des coeurs.
Au cours des conférences politiques qui se tiennent successivement à Tananarive et à Coquilhaville, il parvient à sauvegarder l’intégrité du territoire et à restaurer progressivement l’unité du pays.
Les efforts du président sont couronnés par la constitution, au mois d’Août 1961, à Lovanium, d’un gouvernement d’union nationale présidé par monsieur Cyrille ADOULA.
A l’occasion de la réouverture du parlement, le président KASA-VUBU déclare : " Le parlement est une institution politique essentielle de notre pays. Il fallait le plus tôt possible lui permettre d’exercer à nouveau le pouvoir législatif et de contrôler le gouvernement nommé par le chef de l’Etat…
" C’est avec émotion, avec un véritable soupir de soulagement que je salue la rentrée en scène du Parlement. Messieurs les sénateurs, messieurs les députés, c’est aujourd’hui, je crois, la date la plus importante depuis notre indépendance, parce que, mûris et fortifiés par l’expérience du malheur, vous vous retrouvez tous, décidés à oublier suffisamment ce qui vous oppose, pour vouloir avant tout sauver le pays.C’est surtout votre volonté d’entente, c’est votre volonté d’aboutir qui ont permis la réouverture du parlement".
Dès lors, le chef de l’Etat joue un rôle prépondérant en vue d’assurer le fonctionnement harmonieux des institutions nationales. Les chambres législatives l’invitent régulièrement à inaugurer leurs sessions. Le gouvernement de son côté sollicite son appui.
Exerçant pleinement ses fonctions d’arbitre, le président, dans son message à la nation en date du 4 Novembre 1962, déclare notamment : " Nous savons l’inquiétude qui s’est emparée des membres du parlement à la suite de certaines rumeurs faisant état d’une prochaine dissolution des chambres législatives. Qu’ils soient pleinement rassurés. Il n’entre nullement dans nos intentions de procéder dans les circonstances actuelles, en vertu des pouvoirs que nous confère la loi, à une mise en vacances des chambres. Nous croyons cependant que députés et sénateurs ne peuvent, ne doivent pas ignorer cette opinion qui se crée ni la minimiser ; bien au contraire, toute leur action doit tendre à la corriger. Aussi, importe-t-il de rechercher la source du mal afin d’y apporter un remède efficace".
Les lendemains de l’indépendance
Hélas, cet avertissement ne devait pas être entendu. En effet, sur un point tout à fait capital, celui de la réunion d’une constituante appelée à remplacer la loi fondamentale, œuvre du parlement belge, les chambres congolaises se refusèrent à remplir leurs tâches.Une dernière fois, le 26 Août 1963, convoquant une session extraordinaire du parlement pour l’amener à élaborer la constitution, le président de la République lui adresse ses objurgations : " Aujourd’hui, nous pouvons envisager l’avenir sans trop d’appréhension et nous astreindre aux travaux de consolidation de l’édifice national. Or, la base de cet édifice, le fondement pour ainsi dire de la nation, c’est la constitution, c’est-à-dire la loi qui en fixe le statut politique, économique et social et qui doit la guider dans sa marche vers l’accomplissement de ses grandes destinées. L’élaboration de la charte fondamentale devient un impératif national parce que c’est elle, cette charte, qui doit délimiter les attributions respectives des pouvoirs de l’état et des entités provinciales, conditionner leurs initiatives, harmoniser leur action politique et administrative pour la sauvegarde de la chose publique et des intérêts essentiels de la nation. " Des circonstances particulières nous ont obligé á vivre jusqu’à ce jour une constitution propre. Cette situation nous a valu cette crise dangereuse pendant laquelle l’anarchie s’était installée chez nous, faisant courir de grands risques à la souveraineté même de notre jeune République".
" Par un de ces miracles de l’histoire et qui ne se répètent pas souvent, la nation congolaise a survécu. Maintenant que la crise est passée, il est de mon devoir de chef de l’Etat de mettre tout en œuvre pour prévenir le retour de pareilles circonstances, et d’empêcher la perpétuation d’une situation encore instable. Et elle se perpétuera, croyez moi, si nous négligeons de doter notre pays d’une constitution".
" Pas d’ élections législatives sans constitution : or le renouvellement des chambres devant avoir lieu prochainement, il s’avère dès lors d’une urgence extrême que soit fixée la date à laquelle le peuple sera appelé à désigner ses nouveaux représentants et les modalités selon lesquelles devront se tenir ces grandes assises. Le défaut d’élaboration de la constitution dans le délai voulu fera courir au pays le risque de se trouver en face d’un vide et de le replacer devant une situation inextricable aux conséquences imprévisibles.".
Quelques jours plus tard, devant la carence des chambres, le président KASA-VUBU décide de les mettre en vacances et de convoquer une conférence constitutionnelle composée de congolais de toutes les régions du Congo et de toutes les catégories sociales.
Le 10 Janvier 1964, à Luluabourg, à l’occasion de l’ouverture solennelle des travaux de la commission constitutionnelle, le chef de l’Etat déclara aux participants: "la tâche que les élus du peuple n’ont pu accomplir, c’est à vous messieurs, qu’elle échoit. Votre mandat, vous le tenez du peuple congolais lui-même qui a dicté et approuvé ma décision. Venus de tous les milieux et de toutes les couches sociales, vous représentez ici l’éventail le plus complet de l’opinion nationale. Aurions-nous pu trouver une meilleure représentation que celle de l’assemblée de ce jour? Qui vous contestera valablement ce que vous assumerez au cours de vos travaux qui débutent ce jour?".
Le verdict du peuple seul tranchera. Ce verdict approuvera votre œuvre si, vous dépouillant de vos préoccupations personnelles et particulières et vous oubliant vous-mêmes, vous vous consacrez à traduire scrupuleusement les désirs réels et les aspirations profondes des populations. Ce qui importe, ce n’est pas ce que vous voulez, mais ce que le peuple veut. J’insiste – nous en avons la preuve – le contraire mènera inévitablement à un divorce entre mandants et mandatés.
" Toutefois, ce respect de la volonté populaire n’exclut pas son contrôle par ceux qui en détiennent légalement le mandat. Car c’est pour eux aussi un devoir impérieux d’examiner minutieusement le bien-fondé de cette volonté et de ses conséquences. C’est un devoir auquel ils ne peuvent d’ailleurs se dérober et pour l’exécution duquel il leur est fait confiance parce qu’ils sont, eux, à même d’évaluer à l’avance les effets d’une action dans ses développements ultérieurs.
"C’est la tâche des dirigeants de guider le peuple dans la voie qui peut lui assurer le bonheur auquel il aspire et vers lequel convergent tous ses efforts".
La commission constitutionnelle fit du bon travail et rédigea un texte qui fut adopté par référendum populaire et promulgué le 1er août 1964.
Les derniers jours de Joseph Kasa-vubu.
Comme la plupart des Congolais, le président KASA-VUBU apprend sa propre destitution á la radio nationale, par celui-là même qu’il venait de décorer dix jours plus tôt au grade le plus élevé dans l’armée. Le 24 Novembre 1965. KASA-VUBU quitte le pouvoir à la suite d’un putsch orchestré par le général MOBUTU.
Suite à ce coup et en l’ayant accepté selon ses propos pour l’interêt supérieur de la nation, le père de l’indépendance se retrouva en résidence surveillée. Il devait ensuite quitter Kinshasa, précipitamment et sous escorte, pour rejoindre Boma où il vécut dans un état de dénuement tel qu’il lui était impossible de subvenir à ses besoins vitaux les plus élémentaires. On doit souligner ici que l’homme fort du nouveau régime proclamera devant toute la nation que désormais le président déchu garderait jusqu’à la fin de ses jours les avantages conférés au titre de sénateur à vie. Hélas, ce ne fut qu’une promesse pieuse.
Cette voix qui a inlassablement clamé haut et fort le droit du peuple congolais à disposer de lui-même devait s’éteindre le 24 Mars 1969, à Boma, en résidence surveillée. Muni des derniers sacrements de la Sainte Eglise Catholique, ses paroles ultimes furent entre autres le pardon collectif … "Que Dieu bénisse le Congo et qu’Il éclaire ses dirigeants…"
Les obsèques et un deuil national sont alors décrétés par le général MOBUTU qui se trouvait alors en Allemagne, en visite d’Etat. Il suspendit toutes ses activités officielles, et sur sa demande une messe solennelle de requiem fut célébrée en l’église Saint Laurent de Munich pour le repos de l’âme de l’illustre disparu.
Ce dernier exprimera le vœux que son prédécesseur soit inhumé dans la capitale congolaise et sur son ordre expresse un caveau d’inhumation provisoire avait été aménagé dans le cimetière de Kalina sous la supervision de Joseph N’SINGA alors ministre de l’Intérieur chargé de l’organisation des obsèques nationales. Mais la famille s’y opposa.
En vue de ne pas occulter la vérité sur le calvaire qu’a connu le Président KASA-VUBU depuis son éviction du pouvoir jusqu’à sa mort, la famille KASA-VUBU a résolu de relater quelques scènes insolites et révoltantes afin d’édifier l’opinion tant nationale qu’internationale sur la réalité des faits.
Le 24 mars 1969, KASA-VUBU connaît un malaise dans sa propriété de Boma où il est assigné à résidence. La famille fait appel au Dr.DUVALSAINT qui accourt sur le champ.
Malheureusement, ce dernier n’est pas autorisé à aller au chevet de son patient, les gardes commises à la surveillance de l’ancien président de la République lui interdisant formellement le passage de la grille d’entrée, et ce, durant 3 heures.
Sur ces entrefaites, arrive Monseigneur NDUDI, appelé également au chevet de Monsieur KASA-VUBU pour lui administrer éventuellement le dernier sacrement.
Sur insistance du Prélat catholique, les gardes condescendent à faire entrer le docteur DUVALSAINT qui, aussitôt s’attèle à prodiguer à son patient les premiers soins d’urgence. Mais par malheur, le groupe respiratoire qui devait servir à l’oxygénation est déficient.
Le docteur DUVALSAINT repart à l’hôpital pour chercher un autre groupe respiratoire. A son retour à la résidence de Monsieur KASA-VUBU, il trouvera à nouveau la porte close. Après un bon bout de temps de palabres, les gardes, par respect sans doute pour l’Evêque, acceptent de faire entrer le médécin, mais malheureusement trop tard, car entretemps, le Président KASA-VUBU avait déjà rendu l’âme.
Cette scène insolite éclaire d’un jour nouveau le contexte réel qui a motivé le message de la veuve KASA-VUBU à la Conférence Nationale Souveraine le 27 Mai 1992. A titre de rappel, on sait que le 24 mars 1969 à 3 heures du matin, avant de rendre l’âme, Monsieur KASA-VUBU avait confié à Monseigneur NDUDI le message poignant suivant:
"Monseigneur, lorsque vous verrez MOBUTU, dites -lui de ma part: qu’il n’hypotèque pas l’indépendance nationale, car nous avons beaucoup souffert pour l’avoir. Les sevices, les injures poursuivront le Président même après son décès. En voici une illustration:
Le décès du Président ayant été constaté, il fallait emmener le corps à la morgue de l’hôpital de Boma pour les soins appropriés et, étrange coincidence, il n’y a pas d’ambulance . La veuve et le chauffeur en seront réduits à emmener le corps à bord d’une petite voiture.
Les derniers jours de Joseph Kasa-vubu.
Au même moment, les gardes commises à la surveillance de la résidence se rendent également à la morgue.Vers 4 heures du matin, un de ces derniers ira jusqu’à dévisser l’ampoule qui éclairait la morgue, avant de détraquer toute l’installation électrique. Mais cela n’empêchera pas la veuve KASA-VUBU de superviser la toilette de la dépouille mortelle de son mari.
Le même jour, deux autres faits méritent d’être signalés. Le soir, lors de la veillée mortuaire, un individu se présentera à la résidence pour couper la fourniture du courant, sous prêtexte de non réglement d’une facture de la Régideso de l’ordre de douze Zaïres soit l’équivalent de 24 dollars US.
Deux décennies plus tard après enquête, et selon les propres aveux de l’intéressé, l’on découvrira que cette coupure de courant était commanditée par certaines hautes autorités de la région, dans le but de brimer et de rabaisser le Président KASA-VUBU. Tout était chaque fois mis en oeuvre pour que Monsieur KASA-VUBU ne soit jamais en mesure de payer ses factures d’électricité et d’eau.
Autre fait insolite et scandaleux la même nuit : vers 1 heure du matin, l’animateur de la collectivité de Patu, le nommé MABUMBI Sylver, alias Magosif, par excès de zèle, intimera publiquement l’ordre de retirer le corps exposé et de le mettre immédiatement en bière.
La même nuit, la ligne téléphonique 212 (résidence KASA-VUBU) sonne. La veuve décroche. C’est le ministre de l’Intérieur Joseph N’SINGA qui déclare au bout du fil qu’il a reçu du Président MOBUTU qui se trouvait en Allemagne, des ordres expresses pour qu’il prenne en mains tous les problèmes liés aux obsèques de l’illustre disparu. Il revèle qu’à cet effet un avion serait envoyé à Boma pour ramener la dépouille à Kinshasa.
La veuve est sidérée. Elle ne conçoit pas que les instances supérieures de l’Etat puissent envisager de telles dispositions lorsque l’on sait que son mari vivait en résidence surveillée, et qu’il n’avait même pas le droit de franchir la grille de sa demeure sans soulever des tracasseries de tous ordres telles que les fouilles des voitures et des visiteurs.
La famille fera raisonner la veuve sur l’inutilité d’un refus en pareille circonstance. Aussi, se résignera – t-elle à accepter que la dépouille puisse être acheminée vers Kinshasa.
L’avion qui arrivera à Boma à cet effet aura à son bord une délégation gouvernementale comprenant notamment MM. Prosper MADRANDELE, directeur du Bureau Politique du M.P.R (Mouvement Populaire de la Révolution), Alphonse ILUNGA, Ministre des Travaux Publics et l’Ambassadeur KALIMASI etc…
C’est ainsi que la dépouille du Président KASA-VUBU arrivera à Kinshasa, et, après embaumement dirigé par le Docteur BASTIN, sera exposée au Palais de la Nation durant 48 heures.Une chapelle ardente fut organisée en l’honneur du Président disparu où défileront la population et les Corps Constitués.
Le cortège funèbre effectuera à pieds le trajet du Palais de la Nation jusqu’à la Cathédrale Notre Dame du Congo où son Eminence le Cardinal Joseph MALULA officia la messe solennelle de requiem.
Le transfert de la dépouille pour la ville de Matadi , s’effectuera à bord du C 130 de commandement.
Des milliers de personnes ont pleuré l’ancien président de la République.Kinshasa a rendu un vibrant et ultime hommage à celui qui fut le premier à faire vibrer le tam-tam de l’indépendance immédiate et inconditionnelle.
L’inhumation eut lieu le 28 mars dans son village de Singini en présence des délégués du gouvernement et du corps diplomatique . Sa contrée portera le deuil durant toute une année.
Pour tous les congolais, KASA-VUBU reste avant tout le Père de l’indépendance du Congo, celui qui a mis en branle, guidé et conduit jusqu’à son terme le mouvement de libération nationale.A son retour au pays, le président MOBUTU ira rendre hommage et s’incliner devant la tombe de son illustre prédécesseur.
Comme épitaphe, nous n’avons pas trouvé mieux que les paroles pathétiques que Mr. J.KASA-VUBU a prononcées devant son biographe Charles –André GILLIS:
"L’avenir sera brillant. Le Congo a toutes les chances. Nos querelles sont passagères. Nos difficultés sont celles de la croissance, elles sont dues aux circonstances. Je vois l’avenir du Congo très grand, très prospère… Puis soudain, le ton change:
Pour ma part, j’ai accompli la mission qui m’a été confiée.
Les derniers jours de Joseph Kasa-vubu.
J’ai été le promoteur. Le bon Dieu m’a donné une inspiration.
Je dois la réaliser. Ensuite, ce sera fini. Je n’ai qu’une ambition, celle de donner au pays un bon départ. Ensuite, le pays fera ce qu’il voudra. Les jeunes prendront la direction. S’il le faut, je me retirerai. Peut-être, une révolution donnera-t-elle une orientation meilleure… serait-elle vraiment meilleure pour le Congo ? …"
Le visage est demeuré impassible, mais la voix, légèrement, a trahi son émotion.
Les rapports entre le général MOBUTU et son prédécesseur avaient toujours été caractérisés par des paradoxes.
En réalité, le général MOBUTU a toujours manifesté à l’égard de KASA-VUBU un profond sentiment de respect et d’estime. Malheureusement ,ce climat d’ entente avait toujours été empoisonné par un certain lobby dirigeant très proche de MOBUTU, afin de mieux préserver ses intérêts égoïstes.
A titre d’illustration , voici quelques actes du président MOBUTU qui sont symptomatiques de ce paradoxe. On note que depuis son retour de Singini en 1969, où il avait été s’incliner devant la tombe de son prédécesseur le président MOBUTU prendra plus tard une série de décisions qui laissent perplexes:
En 1971, le président MOBUTU débaptise la Commune de Dendale, l’avenue Roi BAUDOUIN et le pont Cabu qui porteront désormais le nom de KASA-VUBU.
Le général MOBUTU passa en Mai 1971, commande pour le compte de la compagnie maritime nationale (CMZ) d’un navire de haute mer au Japon baptisé " MV Joseph Kasa-Vubu " et dont la marraine sera la veuve Kasa-Vubu. Le Baptême aura lieu le 10 Mai 1971 dans la ville Japonaise d’Innoshima.
En 1980 le président MOBUTU accompagné de sa seconde épouse Madame BOBI LADAWA, retourna pour la seconde fois au village de Singini, s’incliner à nouveau devant la tombe du Président KASA-VUBU sans en aviser au préalable la famille.
Interrogé sur cette visite surprise, ce dernier arguera du fait qu’étant chez lui partout au Zaïre, il n’avait pas à solliciter une autorisation particulière.
4-En 1984, le président MOBUTU fit faire, en Corée du Nord une statue à l’effigie du président KASA-VUBU qu’il avait lui-même proclamé Héros National.
5-En 1981, la veuve KASA-VUBU a été décorée Commandeur de l’Ordre National du Léopard.Puis une seconde fois elle devint Grand Officier du même Ordre en Novembre 1986.
Dans le même contexte, le président MOBUTU avait proposé de transférer les restes du président KASA-VUBU pour une inhumation définitive en lieux et place du monument du Roi LEOPOLD II devant la place du Palais de la Nation.
Un monument devait y être érigé portant la statue du président KASA-VUBU.
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