Joseph Kasavubu

Biographie


Joseph KASA-VUBU est né en 1917 au village de Dizi, au Mayumbe :En 1925, il fut inscrit au catéchuménat de la mission de Kizu, á 6 kilomètres de Tshela . Cette mission avait été fondée en 1906 par l’ordre catholique et missionnaire de Scheut : Il fut baptisé le 31 Janvier 1925 ; fit sa première communion le 1er Février et reçut la confirmation le 10 Juillet de la même année.

Il passa l’année suivante dans son village ; ne retournant á Kizu qu’une fois par mois où il avait l’obligation de communier : Il vint loger à la mission en 1927, pour y suivre son école primaire, sous la férule des premiers moniteurs noirs formés par les Pères .

L’ éducation que lui avait donnée sa famille ; plus particulièrement son frère aîné Michel NSAMBU; s’avéra excellente et les Pères l’inscrivirent immédiatement pour la classe de troisième : On nota sa réserve ; son intelligence ainsi qu’une pointe d’ indépendance.

Le directeur de l’école avait à sélectionner ; pour le recrutement des vocations à la prêtrise, les meilleurs et les plus intelligents de ses élèves. Quand le jeune garçon eut terminé sa quatrième on l’envoya continuer ses études au petit séminaire de Mbata Kiela, à une cinquantaine de kilomètres de Tshéla. Il devait y demeurer huit ans, de 1929 à 1937.

Ces années d’études débutaient par la septième et la huitième préparatoires qui consistaient, en fait, en une continuation des études primaires, devant permettre aux élèves de rattraper leur retard en français.

Suivait un programme d’humanités latines comprenant l’enseignement de la religion, du latin, du français, des mathématiques, de l’histoire, de la géographie, auquel s’ajoutaient quelques notions de science.

On convient que ce n’était pas maigre comme programme et que c’était de très loin ce qui se faisait de mieux au Congo. Joseph KASA-VUBU était un élève brillant, doué pour la religion et surtout pour les mathématiques. Il excellait aux travaux d’analyse et de synthèse.

Ses compagnons au petit séminaire se souviennent de lui comme d’un garçon d’une grande réserve, calme, tranquille, mais l’esprit jamais en repos, interrogeant toujours, demandant le pourquoi et la raison des choses. D’une prudence extrême, il ne répondait aux questions de ses maîtres que sûr de sa réponse. Le professeur avait beau faire et le traiter d’entêté , il n’obtenait de lui qu’une réponse juste ou le silence.

De 1936 à 1939, il étudie la philosophie au grand séminaire de Kabwe, au Kasaï. Le programme d’études de ce séminaire dédié au Christ Roi s’échelonnait sur huit ans : trois ans de philosophie, après lesquels on prend la soutane; cinq ans de théologie avant d’être ordonné prêtre.

En 1939, le jeune séminariste est du groupe de ceux qui ont terminé leurs trois années de philosophie. Contre toute attente, les autorités religieuses du grand séminaire, sur injonction de Mgr Van Den Hoven, signifièrent à Joseph KASA-VUBU qu’il était préférable qu’il aille travailler dans le monde. Pour ce dernier qui avait la volonté d’être prêtre, la consternation avait été grande.

Qu’avait-on à reprocher au jeune KASA-VUBU ? Son intelligence était brillante et sa conduite irréprochable. Par excès de scrupules, n’avait-on pas brisé une vocation ? Oui, mais on avait aussi donné la possibilité au Congo d’accéder plus rapidement et plus dignement á l’indépendance. L’adage"á quelque chose malheur est bon" est ici mille fois vérifié.

Nous devons cependant convenir qu’un élément plaidait contre lui : il s’agit d’une disposition de son esprit qui consistait à refuser de s’incliner devant ce qu’il ne comprenait pas parfaitement. Ceci l’amenait naturellement à interroger toujours, à critiquer parfois, et même à proposer des réformes.

Bien entendu, il n’y avait dans son attitude rien d’insoumis, encore moins d’irrespectueux, rien qui ne s’exprimât suivant les formes, mais il y avait tout de même un côté de son esprit qui demeurait rebelle à tout enseignement des missionnaires et encore plus, sans doute, à toute attitude vécue de leur part, qu’ils ne voulaient justifier qu’en ayant recours à l’argument d’autorité.

D’où , un conflit qui était devenu perceptible, notamment au cours d’un entretien que le jeune homme avait eu avec le père Auguste SEVERYNS, son directeur spirituel.

Joseph KASA-VUBU avait poussé la franchise jusqu’à souligner la discordance entre l’attitude de certains missionnaires et l’enseignement évangélique.

Les autorités religieuses ont, semble-t-il, estimé qu’une telle disposition d’esprit, qui est eût été profitable en d’autres circonstances, soit justement de celles qui peuvent, pour l’accession à la prêtrise, constituer un empêchement prohibitif.

En 1940, Joseph KASA-VUBU termine à Kangu des études de moniteur. Il devient titulaire de la classe de sixième.Jusqu’alors, cette classe avait été confiée aux frères des Ecoles chrétiennes. Ceux-ci ayant décidé de quitter Kangu à cause, semble-t-il, d’une divergence née entre eux et les Scheutistes sur des questions de salaire et de programme, KASA-VUBU fut donc le premier africain à tenir la sixième à l’école normale de Kangu.

La première initiative qu’il prend est de donner la totalité de ses cours en français, ce qui fit sensation. Les élèves ont quelque mal à s’adapter à ce nouveau régime, mais KASA-VUBU était d’ une patience inlassable.

Les missionnaires sont surpris de ce zèle et quelque peu inquiets, mais ils n’osent s’opposer à une initiative par trop conforme au programme officiel. On laisse faire, mais l’atmosphère à nouveau devient lourde. KASA-VUBU se sent surveillé, guetté, épié. Il a en horreur cette hostilité latente. Aussi va-t-il trouver Monseigneur.

C’est la question de salaire qui mit le feu aux poudres. Il s’agit d’un salaire de misère. Il sollicite une augmentation. Refus catégorique de Monseigneur qui aura ce mot historique : " Je ne veux pas créer ici de petit président ".

KASA-VUBU exprime alors la profonde humiliation subie : " Je ne veux pas être rangé sur le même plan que de simples moniteurs qui somme toute n’ont fait que leur école primaire et trois années d’école moyenne.

Au Père Jacques qui lui reprochait sa conduite vis-à-vis du prélat, KASA- VUBU réplique ouvertement :

"Vous avez ici des plantations, des usines, des champs où vous faites travailler des centaines d’élèves. Comment avez-vous acquis les terrains que vous exploitez ; de quelle manière êtes-vous entrés en possession de ces terres ? De quel droit occupez-vous ce sol ?"

On saisit ici sur le vif l’aboutissement ultime du drame personnel de KASA- VUBU. Religieux à l’origine, il s’exprime d’abord en termes de revendication sociale et, aussitôt après, en termes de décolonisation.

En effet, envisager la présence missionnaire en termes de droit foncier, c’est déja dénoncer un régime d’occupation étrangère, c’est donc venir au coeur de la question coloniale.

Pour apprécier toute l’importance de ces faits, il faut se souvenir qu’ils se situent en 1941.

Il travailla pendant quelques temps à la société forestière et agricole du Mayumbe (AGRIFOR), ainsi qu’à l’Agriyumbe, toutes deux sociétés installées à Lemba.Il postula et obtint une place à l’administration centrale.De 1942 jusqu’à l’indépendance, il travaillera à l’administration des finances, remplissant les fonctions d’aide-comptable du service des approvisionnements.

D’une honnêteté scrupuleuse et doué d’un sens des responsabilités remarquable, il s’acquit la confiance et l’estime de ses chefs.

En 1941, il épouse, à Kangu, Hortense NGOMA MASUNDA.

Vers 1945, l’Association des Anciens Elèves des Pères Scheut (ADAPES), l’Association des Anciens Elèves des Frères (ASSANEF), et l’Union des Anciens Elèves des Frères Maristes (UNELMA) servaient de points de rencontres principaux et de ralliement aux "évolués " de Léopoldville.

A cette époque, BOLIKANGO, qui avait joué un rôle très actif au sein des associations des anciens élèves, avait pris l’initiative remarquable de fonder un groupe d’étude destiné à mener une action unie et concertée en vue d’obtenir l’élimination des pratiques de discrimination raciale et l’amélioration de la condition sociale des Congolais. Ainsi naquit l’Union des Intérêts Sociaux Congolais (UNISCO).

Ses fondateurs, et notamment BOLIKANGO, se mirent en quête d’éléments de valeur qui pourraient mettre leurs lumières à la disposition du mouvement.

C’est dans ce cadre que KASA-VUBU fut choisi parmi les conférenciers. La première allocution qu’il y fit s’intitulait de manière fort suggestive : " Le droit du premier occupant " Sous le couvert d’un exposé de droit coutumier, KASA-VUBU y développpait l’idée que le sol du Congo appartenait aux premiers occupants. C’est-à-dire aux Congolais, et qu’il devait par conséquent leur être rendu.

Ce discours prophétique et révolutionnaire, d’une audace incroyable si l’on songe que dix ans plus tard, la plupart des " évolués " congolais hésitaient encore à tenir de tels propos, fit l’effet d’une bombe.L’administration coloniale réagit assez vivement et les membres de l’Unisco se hâtèrent de préciser que le discours tenu par KASA-VUBU ne répondait en rien aux intentions du mouvement. L’affaire n’eut pas d’autres suites mais KASA -VUBU comprit alors que les temps n’étaient pas encore venus où il pourrait se départir de sa réserve et de sa prudence. Ce discours sans lendemain demeure celui d’un précurseur.

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© Marie-rose Kasavubu